La paix va mal à l'Est de la République Démocratique du Congo
Point n'est besoin de vous rappeler que la paix à l'Est de la RDC est loin d'être une réalité. Les prêtres du diocèse de Butembo-Beni, réunis autour de leur évêque dénoncent la situation socio-politique désespérante dans cette région en proie des conflits armés depuis plus d'une décennie. Ils reprochent aux autorités politico-administratives et militaires au niveau national et provincial (du Nord-Kivu), ainsi qu'à la communauté internationale leur silence coupable face à la violation flagrante des droits de l'homme dans la région du Nord-Kivu.
En effet, le 4 novembre, à l'issue d'une rencontre du Conseil presbytéral présidée par l'évêque du diocèse de Butembo-Beni, les prêtres diocésains et Religieux qui ont participé à la rencontre, ont écrit un message émouvant avec comme titre "Ne fais à personne ce que tu n'aimerais pas subir" pour dénoncer l'étouffement de la paix dans cette partie de la RDC. La population n'en peut plus; son espoir d'une vraie paix est mis à dure épreuve. Elle est à bout de patience.
« NE FAIS A PERSONNE CE QUE TU N’AIMERAIS PAS SUBIR» (Tb 4, 15)
NOUS CROYONS A LA VIE ET NOUS VOULONS LA PAIX.
(Message du Clergé de Butembo-Beni sur la situation actuelle)
1. Réunis en Assemblée presbytérale ce Mercredi 4 novembre 2009, en la Fête de Saint Charles Borromée, Nous, Prêtres diocésains et religieux œuvrant au Diocèse de Butembo-Beni, avons passé en revue la situation socio-sécuritaire qui prévaut, d’une manière générale, sur toute l’étendue de notre Diocèse, c'est-à-dire en Territoire de Beni et de Lubero dans la Province du Nord-Kivu. Cette situation demeure très préoccupante et entrave beaucoup notre action pastorale. C’est pourquoi, comme un seul homme, nous adressons ce Message à tous les fidèles de notre Eglise-Famille de Dieu de Butembo-Beni et aux hommes de bonne volonté pour une prise de conscience renouvelée et confirmer, à la suite de nos pères les Evêques1, notre foi en la vie et notre détermination pour la paix.
I. Que constatons-nous ? Faits et réalités
2. « Si je sors dans la campagne, voici les victimes de l’épée ; si je rentre dans la ville, voici le torturé par la faim » (Jér. 14, 18).
Depuis plus de six mois, des nouvelles de plus en plus persistantes et inquiétantes recueillies des quatre points cardinaux de notre Diocèse et appuyées sur des témoignages vrais et dignes de foi nous confirment la triste réalité de l’insécurité sans cesse croissante tant en milieu rural que urbain. En milieu rural, on observe des attaques perpétrées sur des paisibles citoyens par des hommes en uniformes et en armes : à Kanyabayonga, Luofu, Kasando, Kaseghe, Kamandi, Mbingi, Kasugho, Lubango, Alimbongo, Kimbulu, Musasa, Muhangi, Kisalala, Vurondo, Lume …etc, et, tout dernièrement, dans la nuit du 29 au 30 octobre à Busekera et à Mbughavinywa où plus de 210 maisons ont encore une fois été incendiées et 7 personnes tuées et/ou brûlées.
3. En effet, la situation sécuritaire dans laquelle nous nous retrouvons est alarmante : on continue de signaler des maisons incendiées (actuellement plus de 1500 maisons d’habitation), des femmes violées, des hommes pris de force pour transporter le butin ou pris en otage, des enfants atterrés dans la brousse, des personnes tuées, des cadavres non enterrés qui, par putréfaction, risquent de causer l’épidémie de choléra, des milliers de déplacés parmi lesquels des femmes et des enfants ainsi que des personnes âgées. Et cela entraîne comme conséquences : des écoles abandonnées et tout naturellement des enfants non scolarisés, des structures sanitaires et de développement complètement pillées…Ces violations flagrantes des droits humains ainsi que la destruction de la nature ne sont elles pas, en soi, des crimes? Quel héritage devrons-nous léguer aux générations futures ?
4. En milieu urbain, on remarque une persistance constante de l’insécurité nocturne : assassinats, mutilation des corps en vue d’un trafic d’organes humains, vols en mains armées et cambriolages par des hommes en uniforme, vols de téléphones, de l’argent et d’autres objets de valeur. A cette insécurité rurale et urbaine, s’ajoute la pratique des « coupeurs de route »notamment sur les axes Butembo-Goma, Butembo-Manguredjipa, Butembo-Muhangi, Beni-Kasindi, Beni-Bunia, Beni-Batalinga. Et selon le témoignage des rescapés de ces actes ignobles, ces forfaits sont perpétrés par des hommes souvent en uniformes ou cagoulés et armés. L’on cite nommément les FDLR2 et leurs similaires, les Maïmaï PARECO3, les éléments des FARDC4 et ceux qui les intègrent par un raccourci ainsi que d’autres groupes résiduels localisés ici et là à l’Est de la République Démocratique du Congo.
II. Que penser ? Enjeux.
5. La population des territoires de Beni et de Lubero a la nette sensation de n’être pas protégée par son Etat tant au niveau provincial que national.
La souffrance infligée aux populations du Diocèse de Butembo-Beni est indescriptible et incommensurable. Nous sommes meurtris, maltraités, méprisés, humiliés… Notre seule dignité aux yeux de nos bourreaux est de n’en avoir aucune. Et pour cause ! Tout porterait à croire à l’existence d’une volonté délibérée de nous habituer à une telle souffrance au point de semer la panique et la désolation pour que la population abandonne sa terre et vive dans l’errance. Nous sommes tentés de croire que ce que nous vivons dans les Provinces du Nord et du Sud-Kivu n’est pas l’effet accidentel du hasard mais bel et bien la poursuite d’un programme bien établi et un plan concocté à réaliser.
Que dire à notre peuple ainsi meurtri ? Lui conseiller de vider l’intérieur et de rejoindre les grandes agglomérations ne serait-ce pas laisser libre cours à l’occupant quand on sait bien que les réfugiés des Balkans ne sont jamais rentrés chez eux ? Mais aussi, lui demander d’accepter de mourir tout en restant chacun chez soi ; cela pèserait lourd sur notre conscience sacerdotale. Néanmoins, le peuple a déjà fait son choix et tranché court : « Nous préférons rester chez nous », disent nos fidèles à l’unisson. Alors, faudra-t-il attendre que le carnage soit généralisé pour que la Nation et la Communauté Internationale se mobilisent pour voler au secours des rescapés ?
6. Point n’est besoin de le dire, il y a un net contraste entre les opérations de pacification évoquées dans la région et le drame actuel. Le peuple est comme pris entre le marteau et l’enclume : d’un côté les forces négatives l’assaillent, de l’autre les forces dites gouvernementales font des représailles. Et pourtant le peuple s’était bien exprimé pour la paix lors des derniers scrutins.
Et face à cette situation, l’on ne peut s’empêcher de constater le silence des autorités politico-administratives tant provinciales que nationales. C’est même curieux et inquiétant de voir que ceux qui ont reçu le mandat de défendre les intérêts des congolais soient si silencieux devant un drame d’une telle ampleur. Pourquoi ont-ils reçu le pouvoir des mains du peuple ? Sur qui vont-ils exercer leur pouvoir quand le peuple qui le leur a donné n’est plus ou est éteint à petit feu ?
7. Bien plus, le peuple ne voit aucune volonté déterminée de la part de ses dirigeants pour faire face à cette situation afin de lui apporter une solution durable et définitive. Ce silence coupable est interprété à tort ou à raison comme une complicité que le peuple, en souverain primaire, devra sanctionner.
En attendant, les Autorités politico-administratives ne cessent de s’acharner sur les taxes à payer et à faire payer. En même temps, la brouille s’alimente au fil des jours entre le Gouvernement provincial et l’Assemblée provinciale au niveau de Goma. Est-ce là la priorité quand on a son peuple –s’il vit encore - jeté sur les routes, sans logis, sans moyens ni infrastructures de base ?
Avec quoi payera-t-il ces impôts ? Ne croyez-vous pas qu’il faille, en premier, sécuriser celui-ci avant de lui exiger de payer ses taxes et impôts ?
8. Notre Église, Famille de Dieu à Butembo-Beni, qui voudrait « partager les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses, les souffrances des hommes de son temps »5, dénonce et condamne toute attitude et tout comportement qui nuisent à la dignité de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. (Gn.1, 26). Elle prend résolument la défense de l’homme qui est, comme aimait le dire le Pape Jean-Paul II, « la première route qu’elle doit parcourir pour accomplir sa mission »6.
La souffrance qu’endure notre peuple ressemble à celle infligée à « l’homme tombé entre les mains des bandits » dont parle l’Evangile (Lc. 10, 30). Il s’agit de cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho et tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Qui s’occupera de cet homme ? Qui s’occupera du Peuple Congolais si l’Etat, le Gouvernement ainsi que la Communauté Internationale restent indifférents ?
III. Que faire ? Exhortations et interpellations.
9. « Levez-vous : devenez sujets de votre histoire, maîtres de votre destin et cessez d’être objets de votre histoire ».
Cette situation succinctement décrite ne peut laisser indifférent tout homme du fait de sa nature et de sa dignité reçues du Créateur. Mieux, elle doit nous interpeller. Elle nous interpelle aussi et d’abord en tant qu’hommes : « ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir » (Tb.4,15). Elle nous interpelle en tant que chrétiens « hommes nouveaux et messagers de la paix »7 mais surtout en tant que Citoyens Congolais, appelés à nous mettre debout pour bâtir un pays où règne la paix, elle nous préoccupe davantage. En foi de quoi, nous osons formuler les exhortations suivantes en les adressant à nos Fidèles et aux différents responsables :
* Aux Autorités politico-administratives
Votre responsabilité est grande dans ce désastre qui consume les populations des Territoires de Beni et de Lubero. Elle l’est d’autant plus que vous vous occupez d’autre chose que du peuple dont vous êtes les garants de la sécurité. Autrement, « si le sel se dénature (perd sa saveur), il vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds »(Mt.5,13).
* A la Monuc
Votre mandat est, entre autres, d’assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Eu égard aux moyens dont vous disposez les populations ne comprennent pas toujours qu’elles soient victimes de tant d’exactions sous le regard béat de la Communauté Internationale que vous représentez. Nous vous exhortons à redoubler de vigilance et de courage pour remplir pleinement votre mission auprès des populations des Territoires de Beni et de Lubero.
* Aux militaires
Votre mission n’est pas de tuer le peuple mais de le sécuriser. Votre mission n’est pas de piller les biens de ce peuple mais de les protéger. D’où vous vient cette idée de vous rabattre sur le peuple pour résoudre on ne sait quel problème ? Vous avez une noblesse, du moins ceux qui le savent et en vivent, c’est de vivre sous la houlette de la discipline incarnée par le chef des troupes. D’où vous vient ce virus de l’indiscipline ? A la veille du Cinquantenaire de notre indépendance, nous vous supplions de vous investir à redorer votre image ternie par des actes indignes qu’on reproche à certains d’entre vous.
* A nous les Prêtres et les Consacrés du Diocèse de Butembo-Beni
En tant que ministres et porteurs d’espérance, continuons de persévérer, d’espérer contre toute espérance et de rester auprès du troupeau de Dieu qui nous est confié à l’image du bon pasteur. Notre présence prophétique au milieu de notre peuple meurtri et abandonné à son triste sort est un témoignage vivant de la proximité et de la présence soutenue de notre Dieu au milieu de nous, le « Dieu de la vie », le « Dieu des vivants » et « source de la paix véritable ».
* Aux Fidèles laïcs de notre Eglise
C’est à vous que revient la gestion du temporel selon l’esprit de l’Evangile. Nous vous exhortons donc à ne pas vous rendre « complices des malheurs dans lesquels vos frères et sœurs sont tenus »8. Dans la situation actuelle, vous devez vous prendre en charge de façon responsable. Revêtez-vous des armes de la vérité, de la paix, de la justice et de la réconciliation. Votre maturité doit aller au-delà du simple constat de votre malheur et au-delà des jérémiades. Elle doit inciter en vous des actes, des décisions et des engagements courageux en faveur de la paix véritable. Empruntez le chemin de l’Amour et du Pardon pour vous transformer en même temps que le monde.
* Aux Jeunes
Nous en appelons, chers Jeunes, à votre lucidité. Avec ces guerres interminables, c’est votre vie et celle des vôtres qui sont compromises. Ne vous laissez pas prendre en otages mais soyez vigilants. Que personne ne vous entraine sur des sentiers tordus qui risqueraient de vous compromettre et de vous discréditer aux yeux du monde.
* Aux Chefs coutumiers
Pour votre part, soyez vigilants. Ne vous faites pas complices de la spoliation et/ou balkanisation de la terre de nos aïeux, de nos ancêtres et de nos parents que nous devons léguer aux générations futures pour toujours.
* Aux hommes de bonne volonté
Cette situation désastreuse, inhumaine et préoccupante en appelle à la responsabilité de tout homme. Personne ne peut rester indifférent au risque de trahir l’humanité qui est en lui et qu’il a en partage avec les autres : « ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir ».
Cette situation désastreuse, inhumaine et préoccupante en appelle à la responsabilité de tout homme. Personne ne peut rester indifférent au risque de trahir l’humanité qui est en lui et qu’il a en partage avec les autres : « ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir ».
Conclusion
Nous croyons - c’est pourquoi nous parlons (2 Co.4,13) - que Dieu n’abandonne jamais son peuple (1 Sa.12,22 ; Cfr. Ps. 94,14). Tournons-nous vers lui et laissons-nous conduire par son Esprit de paix. Puisse la Vierge Marie, Notre Dame des Affligés, nous couvrir de son manteau maternel et soutenir notre foi en la vie ainsi que notre détermination pour la paix : « Invoquez Marie, disait Saint Bernard de Clairvaux. Il n’y a pas de maux qu’Elle ne puisse guérir. Il n’y a pas de ténèbres qu’elle ne puisse dissiper. Il n’y a pas de détresse qu’Elle ne puisse secourir ».
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